jeudi 22 octobre 2015

Peter Pan







Dans deux semaines sort en librairie une nouvelle adaptation du célèbre texte de James Matthew Barrie :






 C'est Maxime Rovère qui traduit et adapte cette histoire pour les éditions Milan.
Un album qui s'ajoute aux autres titres de leur collection de grands classiques.
64 pages, grand format, grand texte, grandes illustrations...
C'est le plus long projet que j'ai fait à ce jour !

On devait déjà à cet auteur la traduction française du texte intégral aux éditions Rivages.
Cette fois, le texte est adapté dans une version plus courte, avec beaucoup de talent.
Réussir à garder tout l'esprit, le style, l'ironie de James Matthew Barrie dans une version écourtée relevait de l'exploit...
Le résultat a dépassé toutes mes attentes ! Je suis vraiment heureuse d'avoir pu illustrer cette adaptation de Maxime Rovère.


Cela faisait plusieurs années que j'avais envie d'illustrer cette histoire. Le personnage de Peter Pan me fascine. Il est aussi culte et symbolique qu'un mythe grec, qu'une légende ancienne. On le croirait issu de plusieurs siècles de tradition de littérature orale, et on ne doit pourtant son existence qu'à un seul homme, un écossais né en 1860.
Ma fascination pour Peter Pan se mélange avec celle que j'ai pour son auteur. Vous connaissez peut-être déjà la vie de James Matthew Barrie, mais si ce n'est pas le cas, je me permets d'en écrire les grandes lignes plus bas, en citant des passages entiers de la préface de Maxime Rovère, ainsi que des lignes écrites par Céline-Albin Faivre (qui a pour sa part traduit plusieurs œuvres de J.M. Barrie et nous en apprend aussi beaucoup sur l'auteur dans ses préfaces).










( Comme j'en ai pris l'habitude, j'accompagne les peintures des crayonnés n&b, et je montrerai plus tard les recherches, Peter a beaucoup changé d'aspect entre les premiers croquis et cette illustration !)

J'ai redécouvert l'histoire de Peter Pan en lisant la pièce de théâtre que Barrie avait écrite dans un premier temps. Avant d'être un roman, l'histoire était pensée et écrite pour être jouée sur les planches. Elle a d’ailleurs été jouée à de très nombreuses reprises avec grand succès. La première représentation eut lieu à Londres en 1904. Cette pièce fait de Barrie, en 15 ans à peine, un auteur mondialement connu. C'est cette version que j'aime plus que tout. L'auteur avait ensuite écrit le roman " Peter et Wendy" ( version la plus connue, qu'on appelle simplement Peter Pan).
Pour écrire le roman, Barrie avait développé l'histoire, ajouté des détails et autres réflexions. Bien que chaque ligne soit savoureuse, je préfère tout de même la version pour le théâtre, à la fois plus brute et plus épurée.
Je voulais à tout prix illustrer la pièce de théâtre, et je pensais commencer à démarcher des éditeurs jeunesse pour proposer le projet, quand j'ai appris que les éditions Milan travaillaient sur une adaptation du roman avec Maxime Rovere.
J'ai littéralement supplié les éditrices de m’offrir ce texte... Et me voilà qui travaillais dessus quelques semaines plus tard. Cette adaptation, en épurant le récit sans en retirer l'esprit se rapproche, selon moi, du texte initial de Barrie pour le théâtre. Exactement ce que je voulais. Comme j'étais gâtée d'avoir un texte qui m'emballe tant, je n'ai pas compté les heures passées sur les dessins et peintures de cet album...


Je trouve d'habitude que c'est trop pompeux de montrer ses propres images en pas à pas. Mais j'ai travaillé pour cette couverture de manière particulière, zone par zone, feuille par feuille, parce que je voulais que les végétaux aient des formes très découpées, tranchantes. Du coup je trouvais sympa, avant de tout remplir, de voir les formes dentelées des pleins et des vides, et le changement d’ambiance que ça fait. (Hum, en fait c'est tout aussi pompeux d'en dire ça... )







Si vous voulez découvrir la version française du texte original de la pièce de théâtre, elle est éditée chez Terre de Brume : http://www.terredebrume.com/librairie-en-ligne/vmchk/Terres-fantastiques/ISBN-2-84362-249-2-Peter-Pan.html
C'est le seul éditeur qui a publié cette version traduite en français. Elle est en rupture, mais normalement très prochainement réimprimée.
(Pour les lyonnais impatients, il y a un exemplaire à la bibliothèque de la Part Dieu...)
Je n'imagine pas la voix de Peter ou le chant des pirates différemment ! J'adore cette adaptation.

Pour l'anecdote :
"En 1921 Charlie Chaplin rendit visite au dramaturge James Matthew Barrie qu'il vénérait. Il lui avoua qu'il regrettait de n'avoir pu être l’interprète à l'écran de Peter Pan." ( F. Rivière)
Je dois dire que moi aussi, je regrette que ça ne soit pas arrivé ! 


James Matthew Barrie
"Le père de Peter Pan est né en 1860, neuvième enfant du tisserand David Barrie et Margaret Ogilvy. Sa modeste famille vivait dans les quartiers populaires du village de Kirriemuir, en Écosse. James en était le troisième garçon. Le frère aimé, David Barrie Junior, portait sur ses épaules les espoirs d'ascension sociale de la famille et une grande partie de l'affection de sa mère.
Hélas, en janvier 1866, quelques jours avant ses quatorze ans, il eut un accident de patinage et mourut brutalement. Le deuil frappa très durement sa mère, mais aussi son jeune frère. James, alors âgé de six ans, raconte avoir tout fait pour compenser cette disparition, allant jusqu'à porter les vêtements du défunt, à imiter son sifflement, jusqu'au point où sa mère, l'entendant rentrer demanda un jour :
"Est-ce toi ?" et Barrie répondit : " Non ce n'est pas lui. Ce n'est que moi." ( citation Maxime Rovère)


Sans vouloir me lancer dans une analyse psychologique à deux sous, il y a déjà selon moi un contexte qui -a posteriori - favorise la création d'un personnage comme Peter Pan.
Peter Pan est un garçon qui s'est arrêté de grandir.
La mort brutale d'un enfant l'empêche de grandir, il garde pour toujours l'âge qu'il avait à sa mort. David aura toujours 13 ans dans la mémoire de sa famille.
La mort est un thème très présent dans l’œuvre Peter Pan. La peur de la mort se mêle avec la peur du temps qui passe, symbolisée de manière évidente avec le crocodile qui a dans son ventre une horloge, dont le "tic-tac" terrifie Crochet au plus haut point, jusqu'à ce qu'il s'y soumette quand il sent que son heure est arrivée. Je trouve aussi que Peter a quelque chose d'un fantôme, figé au même âge dans son pays du Jamais. Dans la pièce de théâtre, il y a une multitude d'indications pour la mise en scène qui sortent parfois de leur rôle purement informatif. L'une d'elles indique que Peter n'a pas de poids, il ne pèse rien.







À l'inverse, les enfants perdus et Peter n'ont pas un rapport conflictuel avec le temps qui passe. Comme tous les enfants, la notion du temps n'est pas encore bien installée. Une éternité ou une semaine, c'est presque pareil. De même, la mémoire est courte, les émotions ne durent pas longtemps et sont vite balayées par de nouvelles aventures. On sent une réelle fascination de l'auteur sur ce comportement infantile : un rapport radicalement différent au temps et à la mémoire, qu'on ne peut plus ressentir à l'âge adulte.
" Contrairement à la rumeur, Barrie n'était pas un enfant éternel et n'aspirait pas à l'être. Ce n'était pas un homme demeuré enfant , un pitoyable petit homme qui n'aurait pas eu la force de surmonter certains traumatismes ou le courage de grandir - un être infantile et irresponsable, en somme. C'est même tout le contraire : Barrie était un homme qui aurait aimé être un enfant, à l'âge où il aurait pu l'être." ( citation Céline-Albin Faivre)


On voit bien dans ses textes et sa biographie une réelle fascination pour l'enfance, le mode de fonctionnement de l'enfant, à la fois imaginatif, spontané et cruel. Le roman de Peter Pan se termine par : " ...aussi longtemps que les enfants seront joyeux, innocents et sans cœur." Une telle fascination vue de l’extérieur n'est pas possible pour quelqu'un qui serait resté un enfant. Mais ce qui est beau avec Barrie, c'est que son regard ironique sur le monde des adultes semble lui aussi venir l'extérieur.
Il faut dire que si Barrie n'est pas un enfant éternel, on ne peut pas parler d'un adulte ordinaire.
Il s'est arrêté de grandir tôt, et a gardé toute sa vie un corps mince et de très petite taille. Son mariage a abouti à un divorce 15 ans plus tard, son ex femme a déclaré que le mariage n'avait jamais été consommé. 
Il serait asexuel et cette particularité évoque quand même un pas de côté par rapport au passage à l'âge adulte.  ( Je dis ça sans aucun jugement hein...)
Encore une fois, au risque de jouer à la psychologue débutante, on peut se demander si un traumatisme, comme la mort de son frère, peut avoir une incidence si forte sur le psychisme au point d'avoir des conséquences physiques. À savoir, la très petite taille (qui n'a rien de génétique) et l'absence de sexualité. Comme s'il s'était refusé le droit de grandir plus que son frère mort juste avant la puberté.
Aïe aïe aïe je sens que je m'emballe un peu avec mes élucubrations...
Quoi qu'il en soit, j'aime cet auteur autant pour son regard juste et fascinant sur l'enfance que pour ses sarcasmes plein d'humour sur les adultes. 
C'est un grand observateur. Peter Pan, les enfants perdus et leurs aventures sont nés de son observation des enfants Davies.
Qui sont les enfants des Davies ?
Trois jeunes garçons, Georges, Jack et Peter, et le petit dernier, encore bébé, Michael. Tous frères.
Barrie n'a pas d'enfant. Lorsqu'il les rencontre dans le parc de Kensington (Londres), il se lie rapidement d'amitié avec eux. Il accompagne leurs jeux, aiguille le fil de leurs aventures imaginaires, tout en se nourrissant de leurs trouvailles, de leurs improvisations sans limite. Les prénoms des enfants vous disent quelque chose ? Ils ont tous été attribués à un personnage de l'histoire de Peter Pan.

De ces jeux nait un petit livre, écrit en 1901 de la main de Barrie et illustré par les photographies prises pendant les jeux, The Boy Castaways.
Il fabrique ce livre en seulement deux exemplaires, un pour lui, l'autre pour l'ainé des enfants, Georges.
On peut voir déjà des éléments qui façonnent les aventures de Peter Pan. Les spécialistes qui connaissaient ces photos pourront s'amuser à repérer les éléments que j'ai repris dans certaines de mes illustrations pour l'album. Je voulais faire un clin d’œil à ces photographies de l'auteur, à la genèse de l'univers qui prend naissance dans des jeux improvisés.


 On a déjà des garçons prêts à en découdre :

Une forêt, une île :

Les bêtes sauvages qui y vivent (le masque du Tigre est porté par Portos, le chien terre-neuve de J.M. Barrie. Ce même chien qui a inspiré le personnage de Nana, la nounou des enfants Darling) : 
La chasse, les combats :
 La fabrication d'une cabane :
 Et bien sur, LES PIRATES, qu'on pend haut et court :

Un GRAND merci à Céline-Albin Faivre, qui, en plus de nous offrir de très belles traductions de nombreuses œuvres de Barrie -jusqu'alors inconnues du public français- tient un site très complet sur l'auteur.
J'ai pu y trouver toutes les photographies de The Boy Castaways , qui m'ont permises de revenir aux sources, et de rendre hommage à mon tour aux enfants Davies.
Voici son site : http://www.sirjmbarrie.com/index.htm

J'ai loin d'avoir fini mon blabla de fascination sur cette histoire mythique et son contexte.
Il me reste à vous parler des autres inspirations de l'auteur, les îles des mers du sud, les pirates, l’Écosse, le roman Le Petit oiseau blanc...
J'en garde un peu pour plus tard...
Bonne soirée chez vous !

4 commentaires:

  1. Quel projet et quel enthousiasme pour ce texte et son histoire ! Belles illustrations ! Bravo pour la tenacité.

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  2. Tes crayonnés sont magnifiques !
    Ceux de Tangapico également.

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  3. Tes crayonnés sont magnifiques !
    Ceux de Tangapico également.

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