mardi 19 décembre 2017

Le Lance-pierres de Porto-Novo -6- Arts, Cultures et Spiritualités du Bénin
















Sans trop vous en dire, l'histoire de notre dernier album
Le Lance-pierres de Porto-Novo, écrit par Florent Couao-Zotti, démarre comme un conte...

[...]
– Et si l’oiseau était simplement la vieille femme
qu’on a croisée derrière le monument ?
– Quoi ?
– Tu as bien vu comme moi une vieille femme
qui venait de je ne sais où et qui traversait la
place…
– Et alors ?
– Il se peut que l’oiseau et elle soient la même
personne.
– Me raconte pas des clous, Noukpo.
– T’as pas entendu des fois les grandes personnes
dire que les oiseaux ont des parents chez les
hommes et que, quand ils reçoivent de grands
coups, ils se transforment en humains pour
supporter les chocs et éviter de mourir ?




Avec l'un de mes motifs préférés de conte, on ne peut plus universel et ancien, la femme-oiseau.
Sauf que nous ne sommes pas dans un lointain "il était une fois" mais dans le Bénin contemporain.
Alors, magie ou réalisme ? Superstition ou spiritualité ?
L'histoire joue avec cette ambiguïté et j'adore ça.





L'histoire se situe de nos jours à Porto-Novo.
Porto-Novo est la capitale historique et officielle du Bénin (alors que Cotonou est la plus grande ville et la capitale économique).
C'est la ville aux trois noms : Adjatché pour les Yoruba, Hogbonou pour les Goun, Porto-Novo pour les Portugais conquis par sa ressemblance avec Porto.
Ces trois noms témoignent du brassage des populations dont les héritages culturels sont bien visibles.
La ville a aussi accueilli la population dite des Agoudas ou Afro-brésiliens : anciens esclaves et descendants d’anciens esclaves du Brésil repartis en Afrique à la reconquête de leur terre d'origine. Ces derniers emmenant avec eux leur culture brésilienne (elle-même très métissée).
À Porto-Novo, on croise donc des églises inspirées de l'architecture coloniale, des mosquées au style baroque revisité par les Agoudas, des villas avec des façades qui nous transportent à Bahia au Brésil, des architectures traditionnelles avec l'ancien palais royal d'Hogbonou, des espaces sacrés Vaudou...



 (photos prises sur place l'an dernier)

Si vous vous intéressez au culte Vaudou et au lien entre les cultes du Dahomey (nom historique du Bénin) et de ceux aux Amériques (Haïti et Bahia, les deux principaux lieux où les populations arrachées au Dahomey ont été emmenées lors de la traite des esclaves), deux ouvrages :
- Le superbe livre de photographie de Pierre Fatumbi Verger, Dieux d'Afrique. Il met en parallèle des cérémonies photographiées au Bénin et au Brésil, la ressemblance est troublante. C'est beau, c'est fascinant... C'est ici.
- L'étude ethnologique passionnante d'Alfred Métraux, Le vaudou haïtien.
Si vous vous intéressez plus largement aux cultes d'Afrique subsaharienne L'Afrique Fantôme de Michel Leiris m'a beaucoup appris.
Et j'ai été fascinée par les films documentaires de Jean Rouch réunis dans le coffret Une aventure Africaine. Par ici.

Je reviens à notre album.
Il n'est pas question de cérémonie ou de culte dans Le Lance-pierres de Porto-Novo.
Par contre il est question d'un objet bien particulier, le Lance-Pierres Yoruba.






 "Contrairement aux autres, le lance-pierres de Porto-Novo est fin,
 fabriqué en bois de teck, stylisé
avec un certain art de l’équilibre. 

Le plus souvent, un visage était sculpté à l’intersection des deux branches. 
Et ce n’était pas un visage ordinaire,
mais la reproduction d’un masque,

le masque guèlèdè."

















Dans la première version, le texte de l'album était plus long.
Florent Couao-Zotti avait écrit un magnifique paragraphe expliquant ce qu'était le Gèlèdé (ou Guèlèdé).
Hélas, le texte étant jugé trop long pour un album jeunesse, et ce paragraphe étant sur un ton plus documentaire que narratif, il n'est plus sur la version finale...

Par contre, en complément de l’album, une affiche a été imprimée par les éditions Sarbacane avec toutes les informations sur Porto-Novo et le Gèlèdé inscrites au dos. (Amis libraires, si vous voulez l'affiche, n'hésitez pas à la demander auprès des éditions Sarbacane, elle est gratuite !)

Je me permets de parler plus longuement ici de la merveilleuse tradition des danses avec des masques Gèlèdé car il serait trop dommage de passer à côté !
Instituteurs, profs, documentalistes... si par bonheur vous souhaitez étudier notre album en classe, la découverte du Gèlèdé pourrait être un bon moyen "d'aller plus loin" et de prolonger la découverte de la culture béninoise...
(je me prends à rêver d'élèves français qui connaissent aussi bien des aspects des cultures d'Afrique francophone que les élèves africains francophones connaissent aujourd'hui les Fables de La Fontaine !)

La cérémonie du Gèlèdé me plait car elle réunit à la fois l'art de la danse, du chant, de la musique, de la sculpture, et du théâtre de marionnettes... (rien que ça !)
Des chants en langue yoruba, de la musique par quatre tam-tam et des danses masquées ont lieu à la fin des récoltes, et lors d'événements importants comme certaines naissances, décès, et mariages ou en cas de sécheresse ou d'épidémie.
Les effets impressionnants de la cérémonie font dire au peuple yoruba que « les yeux qui ont vu le Gèlèdé ont vu le spectacle ultime » (oju to ba ri Gelede, ti de opin iran).



Le danseur ne porte pas le masque sur le visage mais posé sur la tête, lui donnant une taille impressionnante.
Le visage du danseur est quant à lui dissimulé sous un tissu.
J'ai parlé d'art de marionnettes car le masque a deux 'étages' :
La partie inférieure représente un visage de femme calme sous une forme conventionnelle, simple et statique.
Au dessus, différentes représentations, animaux, symboles, personnages...
Souvent, la partie supérieure peut être animée en s'articulant avec des ficelles dissimulées sous le masque et actionnées par le porteur du masque alors même qu'il exécute une danse.
La cérémonie a donc aussi une narration grâce aux scènes qui s'animent sur le masque. Il y a de quoi parler de spectacle ultime n'est-ce pas !



Cette cérémonie est un hommage rendue aux femmes, comme créatrices et protectrices de la vie, douées de la connaissance des pouvoirs curatifs des plantes, forces régulatrices garantes de l'ordre social et moral.
Mais le danseur est toujours un homme... qui se transforme en accueillant même parfois sur son torse un ventre de femme sculpté, enceinte ou allaitante.

La féminité et l'injonction à l’enfantement est l'un des thèmes principaux de l'album Les Lance-pierres de Porto-Novo.
L'évocation du Gélédè fait miroir au destin d'Adéniké, personnage de l'album.






































"Belle, la jeune femme, charme de princesse ajouté
à la sobriété des manières. Jamais, personne ne
pouvait se rassasier de l’admirer, elle éclaboussait
le monde autour d’elle par la générosité de son
cœur autant que par le fleuri de son visage. Mais
c’est connu : ici, sous nos cieux, une femme a
beau éblouir les yeux, tant qu’elle n’est pas mère,
tant que, de son bassin, n’est pas sorti un enfant,
sa beauté est inutile."










 
J'ai découvert le Gélédè grâce à une exposition au Musée des cultures d'Afrique de l'Ouest à Lyon 7.
Si vous voulez en voir plus :
- L'artiste contemporain Kifouli Dossou a créé pour l'exposition Le Sondage à la Fondation Zinsou une série de masques Gélédè. Sur la partie supérieure, les scènes représentent les principales préoccupations et revendications du peuple béninois. L'artiste a sondé ses compatriotes pour savoir quels étaient pour eux les enjeux actuels pour la société béninoise. Le livre d'expo du même nom est très beau. C'est par ici.
- La photographe Phyllis Galembo a magnifiquement pris en photo des masques Gèlèdé portés. Ils sont visibles (parmi beaucoup d'autre masques et costumes) dans le bel ouvrage Maske. Par ici par ici !

À Cotonou j'ai rencontré une prof de français, Nathalie Darras, qui a assisté à une cérémonie Gèlèdé  et l'a très bien raconté sur son blog : ici et ici. Ses photos nous donnent bien l'ambiance et rendent justice à la beauté des masques ! Allez-y c'est passionnant, j'aurais aimé y être !!!




 © Nathalie Darras. Foncez voir ses autres photos et le récit complet de cette nuit sur son blog !



*** Anecdote béninoise ***

Alors que je commençais mon travail d'illustration de l'album Le lance-pierres de Porto-Novo, je suis retournée une deuxième fois au Bénin. L'occasion de rencontrer en vrai l'auteur du texte. J'ai pu visiter avec lui tous les lieux où se passe son histoire, idéal pour l'illustrer au mieux !
J'avais à cette époque un obstacle : je devais représenter un lance-pierre Yoruba avec donc le fameux masque gèlèdé à l'intersection des branches, mais impossible de trouver un exemple d'un tel lance-pierres, ni sur le net, ni dans les musées d'art africain que j'ai visités. En demandant à Florent s'il en possédait un qu'il pourrait me montrer, il me confia que s'il en voyait souvent lorsqu'il était jeune, il n'en a plus vu un seul depuis plusieurs années... Je ne peux quand même pas inventer son allure, je risquerais de tomber à côté !

De passage à Abomey, ancienne capitale du Dahomey, je rendis visite à un grand artiste, Ives Apollinaire Pède dans son atelier.
Yves Apollinaire s'exprime à travers une autre pratique ancestrale béninoise : l'art de l'appliqué (toile en morceaux de tissus cousus entre eux représentant des scènes narratives).
(Parenthèse : c'est dans cet atelier qu'ont été réalisés tous les appliqués qui illustrent le magnifique ouvrage Océan Noir de William Wilson paru aux éditions Gallimard Giboulées. C'est pour les petits et les grands, c'est à mettre entre toutes les mains, c'est beau, c'est important, foncez)



 (atelier de Ives Apollinaire Pédè)

L'Artiste m'invite à revenir lui rendre visite le soir même, car son galeriste breton sera présent et qu'il voudrait me le présenter.
Je rencontre comme ceci Jean-Yves Augel. Je découvre qu'il est le plus grand collectionneur de masque Gèlèdé, et que l'exposition à Lyon qui m'a fait découvrir cet art n'est rien d'autre que sa propre collection...
Toujours embêtée de n'avoir trouvé un seul lance-pierres Yoruba pour pouvoir illustrer correctement mon livre, je tente : en a t'il entendu parlé ? Sait-il a quoi cela ressemble ?
Merveilleuse coïncidence : il est aussi le plus grand collectionneur de lance-pierres d'Afrique de l'Ouest ! Il a justement fait photographier sa collection dernièrement en vue d'un ouvrage à paraitre... Deux lances-pierres de sa grande collection correspondent à celui que je dois dessiner.
Il m'a gentiment fourni les photos nécessaires pour que je puisse le représenter dans notre album. Merci à lui !
Je ne manquerai pas de vous signaler la sortie prochaine de son livre sur les Lance-pierres.

J'arrête là ma longue tartine, j'espère ne pas avoir perdu en cours de route mes quelques lecteurs...








3 commentaires:

  1. Hou ! je n'étais pas repassée par ici depuis très longtemps (fin de trimestre n'aidant pas) et c'est Lila qui m'a refilé le mot pour le guélédè ! ^^
    C'est merveilleux toutes ces références documentaires et artistiques que tu partages, j'ai ouvert plein de fenêtres et j'ai de la lecture pour toute la soirée, chouette ! Merci pour tous ces liens, et excellente année.

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  2. Bonsoir,
    Ce blog est un trésor ! C'est génial de rentrer à ce point dans les étapes de création de l'album et d'avoir un prolongement à sa lecture. Hâte de vous rencontrer prochainement à Ecully !
    Mélanie

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  3. Merci !!!
    Ravie que ces lectures vous plaisent !
    à bientôt..

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