Le 15 novembre prochain sortira Massamba le marchand de tours Eiffel, ouvrage que j'ai illustré avec passion pendant de longs mois.
Pour
la troisième fois, la talentueuse Béatrice Fontanel m'offre une
histoire à laquelle je me rallie immédiatement et sans réserve, avec une
envie de dessiner insatiable.
Notre première collaboration date de 2011, La Chose, aux éditions Sarbacane.
Nous nous retrouvons en 2016 avec Je suis la méduse, aux éditions Les Fourmis Rouges.
Cette fois ce sont les éditions Gallimard avec qui nous faisons équipe pour ce nouveau voyage, de l'Afrique à Paris.
Arrivé
à Paris au terme d’un voyage éprouvant, Massamba doit s’improviser
marchand de souvenirs pour touristes. Quand il découvre, en vrai, la
tour Eiffel dont il a tant entendu parler… quel choc ! Devant lui elle
s’élance, phénoménale, telle une fusée d’acier qui transperce les
nuages. Vendre des tours Eiffel miniatures sous la grande : au début, il
trouve ça trop fort. Mais il doit rester aux aguets…
"Dans
une grande pirogue, Massamba était monté avec d’autres hommes et
quelques femmes. Ils étaient si encaqués qu’ils ne pouvaient plus
bouger un genou.
Massamba
n’avait jamais vu la mer. Il ne connaissait que le grand fleuve,
tout proche de son village. Devant tant d’eau, il cherchait la rive
en face, mais… il n’y en avait pas !
À la nuit tombée, pendant que les garde-côtes regardaient un match de
foot à la télé, le bateau mit le cap vers la haute
mer. Il filait, poussé par son vieux moteur rafistolé. Les poissons
volants jaillissaient des eaux et luisaient sous la lune. Mais la
houle était forte. Massamba eut aussitôt très mal au cœur."
J'aime toujours parler du contexte de création d'un album.
Pour
ce titre, le contexte est lourd, avec des actualités tragiques qui se
sont accumulées pendant la création du livre, qui s’entremêlent avec
l'histoire.
Mais comme savent le faire les grands auteurs
lorsqu'ils s'adressent aux enfants, le texte de Béatrice, loin de noyer
le jeune lecteur dans le désespoir, lui donne l'intelligence de
l'empathie.
En lui montrant avec douceur le visage d'un homme qui vient de loin, qui aime les langues, qui a les yeux grands ouverts...
En lui montrant avec douceur le visage d'un homme qui vient de loin, qui aime les langues, qui a les yeux grands ouverts...
Le
texte, comme toujours chez Béatrice, est très beau à lire à voix haute.
Il reste parfaitement à hauteur d'enfant, sans l'accabler de ce que le
monde a de pire mais au contraire en lui montrant les manifestations
d'humanité, qu'on trouve quand on sait bien regarder, et qui nous font
grandir.
Je me suis donnée comme mot
d'ordre de suivre le même cap avec mes images. Ce livre n'est pas un
reportage réaliste sur l'immigration. Ce livre est une histoire, un
conte moderne. Les enfants pourront s'attacher à ce héros, je l'espère
autant que moi en le dessinant.
Pourtant je dois avouer
que ça n'a pas été facile du tout de peindre ce périple avec toutes ses
couleurs, moi, adulte, consciente du nombre de héros comme Massamba,
hommes, femmes et enfants, qui n'arriveront jamais au bout de leur
voyage.
Maintenir le récit dans sa visée pleine d'espoir n'a
pas été facile, mais c'était nécessaire pour donner toute la force à cet
album jeunesse, et pour que les images s'associent avec le ton du
texte.
Béatrice a
écrit ce récit il y a plusieurs années. La première fois qu'elle m'en a parlé c'était... en 2012, il y a déjà 6 ans.
Nous sommes en 2018 et notre album donne l'impression
d'avoir été écrit cette année, pour être au plus proche de l'actualité
récente. Pourtant il n'en est rien: triste de constater que depuis tout ce temps l'histoire est la même...
Autre
résonnement troublant avec l'actualité de cette année : l'incroyable
destin de Mamadou Gassama dont le dénouement est le même que pour notre
héros.
Encore une fois, on pourrait penser que c'est ce fait divers récent qui a inspiré l'histoire de
l'album. Mais nous n'avions pas attendu Mr Gassama pour
savoir que les héros modernes étaient partout, et pouvaient se révéler
avec autant d'éclat. Petite mise au point tout de même : non, je ne
pense pas qu'il faille être un sur-homme pour mériter un accueil digne
en France, des papiers, et une vie meilleure. Les autres héros modernes
qui se battent avec leur quotidien de migrants dans l'ombre mériteraient
au même titre plus de considération... Qu'ils soient capables, ou non,
de grimper 4 étages en quelques secondes... Et surtout, surtout, Mamadou
G. au même titre de notre Massamba, après ce qu'il a traversé était
déjà un héros avant son coup d'éclat. Ils sont tous des héros, leur
histoire commence avant.
Le 1er mai dernier, un vendeur de tours Eiffel décède suite à ses blessures :
renversé par un fourgon de police alors qu’il tentait de leur échapper. Il s'appelait Ismaëla Bocar Dé.
Enfin,
à titre personnel, mes propres rencontres cette année se sont
entremêlées avec la fiction de ce nouvel album. J'ai survolé six fois la Méditerranée au cours de ce projet pour des séjours en Afrique de
l'Ouest, avec le confort et la facilité pour passer les frontières qu'un
passeport européen offre. Là-bas, j'ai rencontré un Camerounais qui
avait tenté la traversée mais avait échoué. Ils sont partis à douze de
leur pays. Seuls trois sont encore en vie, dont deux sont retenus en Libye.
C'était
une première pour moi de dessiner une fiction qui avait tant de
résonances avec le présent. Chaque événement, rencontre, actualité, a
influencé mon travail tout au long de la réalisation de ce livre.
Mes amis du Bénin se sont laissés observer, dessiner, prendre en photo pour les besoins du livre. Merci à Jean-Lucien et Jacques qui ont tous deux inspirés l'allure de Massamba.
Mes amis du Bénin se sont laissés observer, dessiner, prendre en photo pour les besoins du livre. Merci à Jean-Lucien et Jacques qui ont tous deux inspirés l'allure de Massamba.
D'autres œuvres m'ont accompagnées :
Le film Fuocoammare de Gianfranco Rossi
La série de documentaires radiophoniques "Journal à deux voix" :
le journal d'Ibrahima et de Sow, deux migrants originaires de
Côte d'Ivoire, qui tentent de s'installer en France malgré les
difficultés....
Le reportage La Traversée clandestine de Grégoire Deniau
Et toujours sur le même thème, je viens de voir sur la plateforme Tënk le cours documentaire Atlantiques réalisé par Mati Diop (soit dit en passant : la nièce du grand réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety dont j'ai déjà parlé).
(J'en profite pour vous recommander la plateforme Tënk : avec un abonnement de 6 euros par mois, c'est l'accès à une sélection riche et constamment renouvelée de films documentaires à découvrir...)
(J'en profite pour vous recommander la plateforme Tënk : avec un abonnement de 6 euros par mois, c'est l'accès à une sélection riche et constamment renouvelée de films documentaires à découvrir...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire