"– Et maintenant, ma chère demoiselle, dit Casse-Noisette, 
ayez  la  bonté  de  me  donner  la  main 
et de monter avec moi."
Alexandra Dumas Histoire d'un Casse-Noisette 1844
Notre Casse-Noisette sort aujourd'hui en librairie !
Aux éditions Nathan et L'Opéra de Paris, adapté par Pascale Maret.
 
J'étais impatiente qu'il soit disponible car j'ai eu beaucoup de plaisir à l'illustrer.
Je dis "notre" Casse-Noisette car cette histoire a été déclinée dans beaucoup de versions différentes, de ballets différents... Notre album est initié par la volonté de l'Opéra de Paris de présenter "leur" Casse-noisette.
 
 
 Cette histoire inventée par Hoffmann (1816), a été réécrite par Alexandre Dumas (1844). Ce dernier a pris beaucoup de liberté pour livrer une nouvelle version pleine d'inventivité, assez peu fidèle à l'original. 
J'ai tellement aimé la préface de Dumas, que j'ai envie de vous la partager...
Il raconte avec malice pourquoi il a réécrit ce texte : il en valait de sa survie, telle une Shéhérazade prise en otage, non par un roi fou, mais par une bande d'enfants intraitable. Il rend hommage à l'oralité du conte, sa part d'improvisation, et à l’exigence de faire de son mieux, même (et surtout !) face à des enfants, une question de vie ou de mort.
Il y avait
une grande soirée chez mon ami le comte
de M..., et j’avais contribué, pour ma part, 
à
grossir la bruyante et joyeuse réunion en y conduisant
ma fille. 
Il
est vrai qu’au bout d’une demi-heure, pendant
laquelle j’avais paternellement assisté à 
quatre
ou cinq parties successives de colin-maillard,
de main chaude et de toilette de 
madame,
la tête tant soit peu brisée du sabbat que faisaient
une vingtaine de charmants petits 
démons
de huit à dix ans, lesquels criaient à qui mieux
mieux, je m’esquivais du salon et me 
mettais
à la recherche de certain boudoir de ma connaissance,
bien sourd et bien retiré, dans 
lequel
je comptais reprendre tout doucement le fil de
mes idées interrompues. 
J’avais
opéré ma retraite avec autant d’adresse que
de bonheur, me soustrayant non seulement 
aux
regards des jeunes invités, ce qui n’était pas bien
difficile, vu la grande attention qu’ils 
donnaient
à leurs jeux, mais encore à ceux des parents,
ce qui était une bien autre affaire. J’avais 
atteint
le boudoir tant désiré, lorsque je m’aperçus,
en y entrant, qu’il était 
momentanément
transformé en réfectoire, et que des
buffets gigantesques y étaient dressés, tout 
chargés
de pâtisseries et de rafraîchissements. Or, comme
ces préparatifs gastronomiques m’étaient 
une
nouvelle garantie que je ne serais pas dérangé avant
l’heure du souper, puisque le susdit boudoir 
était
réservé à la collation, j’avisai un énorme fauteuil
à la Voltaire, une véritable bergère Louis 
XV
à dossier rembourré et à bras arrondis, une paresseuse,
comme on dit en Italie, ce pays des 
véritables
paresseux, et je m’y accommodai voluptueusement,
tout ravi à cette idée que 
j’allais
passer une heure seul en tête-à-tête avec mes
pensées, chose si précieuse au milieu de ce 
tourbillon
dans lequel, nous autres, vassaux du public,
nous sommes incessamment entraînés. 
Aussi,
soit fatigue, soit manque d’habitude, soit
résultat d’un bien-être si rare, au bout de dix 
minutes
de méditation, j’étais profondément endormi.
Je
ne sais depuis combien de temps j’avais perdu
le sentiment de ce qui se passait autour de 
moi,
lorsque tout à coup je fus tiré de mon sommeil
par de bruyants éclats de rire. J’ouvris 
de
grands yeux hagards qui ne virent au-dessus d’eux
qu’un charmant plafond de Boucher, tout 
semé
d’Amours et de colombes, et j’essayai de me
lever ; mais l’effort fut infructueux, j’étais 
attaché
à mon fauteuil avec non moins de solidité que
l’était Gulliver sur le rivage de Lilliput. 
Je
compris à l’instant même le désavantage de ma
position ; j’avais été surpris sur le territoire 
ennemi,
et j’étais prisonnier de guerre. Ce
qu’il y avait de mieux à faire dans ma 
situation,
c’était d’en prendre bravement mon parti
et de traiter à l’amiable de ma liberté. 
Ma première
proposition fut de conduire le lendemain
mes vainqueurs chez Félix, et de 
mettre
toute sa boutique à leur disposition. Malheureusement
le moment était mal choisi, je 
parlais
à un auditoire qui m’écoutait la bouche bourrée
de babas et les mains pleines de petits 
pâtés.
Ma
proposition fut donc honteusement repoussée.
J’offris
de réunir le lendemain toute l’honorable
société dans un jardin au choix, et 
d’y
tirer un feu d’artifice composé d’un nombre de
soleils et de chandelles romaines qui serait 
fixé
par les spectateurs eux-mêmes. Cette
offre eut assez de succès près des petits 
garçons
; mais les petites filles s’y opposèrent formellement,
déclarant qu’elles avaient 
horriblement
peur des feux d’artifice, que leurs nerfs
ne pouvaient supporter le bruit des pétards, 
et
que l’odeur de la poudre les incommodait. J’allais
ouvrir un troisième avis, lorsque 
j’entendis
une petite voix flûtée qui glissait tout bas
à l’oreille de ses compagnes ces mots qui me 
firent
frémir : 
– Dites
à papa, qui fait des histoires, de nous raconter
un joli conte. 
Je
voulus protester ; mais à l’instant même ma voix
fut couverte par ces cris: 
– Ah
! oui, un conte, un joli conte ; nous voulons
un conte. 
– Mais,
mes enfants, criai-je de toutes mes forces,
vous me demandez la chose la plus 
difficile
qu’il y ait au monde : un conte ! comme vous
y allez. Demandez-moi l’Iliade, demandez-
moi
l’Énéide, demandez-moi la Jérusalem délivrée,
et je passerai encore par là ; mais un 
conte
! Peste ! Perrault est un bien autre homme qu’Homère,
que Virgile, et que Le Tasse, et le 
Petit
Poucet une
création bien autrement originale
qu’Achille, Turnus ou Renaud. 
– Nous
ne voulons point de poème épique, crièrent
les enfants tout d’une voix, nous voulons 
un
conte ! 
– Mes
chers enfants, si... 
– Il
n’y a pas de si ; nous voulons un conte ! 
–
Mais, mes
petits amis.. . 
– Il
n’y a pas de mais ; nous voulons un conte
! nous voulons un conte ! nous voulons un 
conte
! reprirent en chœur toutes les voix, avec un accent
qui n’admettait pas de réplique. 
– Eh
bien, donc, repris-je en soupirant, va pour
un conte. 
– Ah
! c’est bien heureux ! dirent mes persécuteurs.
– Mais
je vous préviens d’une chose, c’est que le
conte que je vais vous raconter n’est pas de moi.
– Qu’est-ce
que cela nous fait, pourvu qu’il nous
amuse ? 
J’avoue
que je fus un peu humilié du peu d’insistance
que mettait mon auditoire à avoir 
une
œuvre originale. 
– Et
de qui est-il, votre conte, monsieur ? dit une
petite voix appartenant sans doute à une 
organisation
plus curieuse que les autres. 
– Il
est d’Hoffmann, mademoiselle. Connaissez-vous
Hoffmann ? 
– Non,
monsieur, je ne le connais pas. 
– Et
comment s’appelle-t-il, ton conte ? demanda,
du ton d’un gaillard qui sent qu’il a le 
droit
d’interroger, le fils du maître de la maison. 
–
Le
Casse-Noisette de Nuremberg, répondis-je
en toute humilité. Le titre vous convient-il, 
mon
cher Henri ? 
– Hum
! ça ne promet pas grand-chose de beau,
ce titre-là. Mais, n’importe, va toujours ; si 
tu
nous ennuies, nous t’arrêterons et tu nous en diras
un autre, et ainsi de suite, je t’en préviens, 
jusqu’à
ce que tu nous en dises un qui nous amuse.
– Un
instant, un instant ; je ne prends pas cet engagement-là.
Si vous étiez de grandes 
personnes,
à la bonne heure. 
– Voilà
pourtant nos conditions ; sinon, prisonnier
à perpétuité. 
– Mon
cher Henri, vous êtes un enfant charmant,
élevé à ravir, et cela m’étonnera fort si 
vous
ne devenez pas un jour un homme d’État très
distingué ; déliez-moi, et je ferai tout ce que 
vous
voudrez. 
– Parole
d’honneur ? 
– Parole
d’honneur. 
Au
même instant, je sentis les mille fils qui me retenaient
se détendre ; chacun avait mis la main 
à
l’œuvre de ma délivrance, et, au bout d’une demi-minute,
j’étais rendu à liberté. 
Or,
comme il faut tenir sa parole, même quand elle
est donnée à des enfants, j’invitai mes 
auditeurs
à s’asseoir commodément, afin qu’ils pussent
passer sans douleur de l’audition au 
sommeil,
et, quand chacun eut pris sa place, je commençai
ainsi : 





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