jeudi 12 novembre 2015
La naissance de Peter Pan, les jardins de Kensington
Je vous parle maintenant une dernière fois de mes recherches autour du texte Peter Pan.
Avant la pièce de théâtre et le roman consacré à ce personnage, James Matthew Barrie a écrit un roman THE LITTLE WHITE BIRD or Adventures in Kensington Garden ( Le petit oiseau blanc).
Écrit en 1902, ce texte présente pour la première fois Peter Pan. On y découvre la genèse du personnage qui deviendra si célèbre. L'histoire de Peter Pan, dans ce roman, ne représente qu'une petite partie : cinq chapitres au milieu de l'histoire du Petit Oiseau Blanc. Une histoire dans l'histoire.
Elle fonctionne tellement bien seule, que ces chapitres ont été extraits du roman, et édités en 1906 sous le nom de Peter Pan in Kensington Gardens, accompagné des illustrations d'Arthur Rackham.
Si ce passage peut se lire isolé du reste, c'est dommage d'exclure les autres chapitres du roman Le petit oiseau blanc, car les personnages qu'on y découvre ont des préoccupations qui rejoignent l'univers de Peter Pan. Le rapport des adultes face au temps, à l'imaginaire, la présence d'un enfant imaginaire et d'un enfant bien réel. Il y a tout un questionnement sur l'enfantement. À force d'espionner l'enfant d'une autre, le héros s'approprie et adopte par procuration l'enfant réel de l'histoire, nommé David (comme le frère ainé décédé de Barrie). Le parallèle est évident avec l'auteur et les enfants Davies.
Ce roman est narré à la première personne, par le personnage Capitaine W, dont l'attitude d'observateur en retrait, qui vit une vie par procuration, rappelle sans conteste J.M. Barrie. Tout comme l'auteur, Capitaine W observe, comprend. Il déambule aussi dans les jardins de Kensington avec son grand chien Terre-Neuve qui a le même nom que le chien de l'auteur, Porthos. Ce texte nous fait pénétrer dans la tête de Capitaine W, (et donc un peu dans la tête de l'auteur). Il est construit de manière assez décousue, étrange. On suit les raisonnements solitaires du narrateur, ses combines, ses divagations. En ça, il m'a fait penser à deux romans de Romain Gary, qu'il a écrit sous le pseudonyme d’Émile Ajar, Gros Câlin et Pseudo. Le pseudonyme permettait à Romain Gary une plus grande liberté de style, une maladresse volontaire, une construction décousue. Barrie se permet les mêmes libertés dans Le petit Oiseau Blanc.
L'auteur dit avoir construit ce roman comme un journal, en improvisant le fil du récit.
Comme l'histoire "est une mise en abyme permanente de la vie de Barrie" ( citation Céline-Albin Faivre) quand on arrive à l’histoire de Peter Pan, on a l'impression d'assister à l'invention même du personnage. Le contexte nous fait comprendre comment une telle idée a pu germer dans l'esprit de l'auteur, comment il en est arrivé là. C'est assez fascinant d'avoir accès à la genèse d'un tel personnage.
Je vous raconte ci-dessous les grandes lignes de la naissance de Peter Pan, en citant de larges extraits. Mais si vous préférez avoir la version intégrale, je ne peux que vous conseiller la traduction de Céline-Albin Faivre éditée chez Terre de Brume, cliquez par ici : Le Petit oiseau Blanc.
[...] Bien sûr cela prouve également que Peter est plutôt vieux, mais en vérité il a toujours le même âge, et cela n'a finalement aucune espèce d'importance. Il est âgé d'une semaine et, bien qu'il soit né il y a fort longtemps, il n'a jamais eu d'anniversaire; il n'a pas la plus petite chance d'en avoir jamais un. En voici la raison : il s'est échappé à l'âge de sept jours, avant d'être tout à fait humain; il s'est enfui par la fenêtre est s'est envolé jusqu'aux Jardin de Kensington."
Le narrateur Capitaine W explique alors que tous les enfants, avant d'être humains, étaient des oiseaux. Et que les bébés ont tous inconsciemment "le désir primitif de retrouver la cime des arbres". On a ensuite un paragraphe que je trouve assez fascinant, où le narrateur explique l'histoire en même temps qu'il explique la naissance de l'histoire. Pour mieux le comprendre, je rappelle que le narrateur garde un jeune enfant (David) qui n'est pas le sien :
"[...] ils [ les bébés] ont tous été des oiseaux avant de devenir des humains, ils sont donc naturellement encore un peu sauvages pendant leurs premières semaines, et leurs épaules sont très chatouilleuses, car c'est à cet endroit que se trouvaient leurs ailes. C'est en tout cas ce que m'apprend David.
Je dois vous expliquer comment nous procédons lorsque nous inventons une histoire : d'abord, je la lui raconte; puis il me la raconte à nouveau et il faut simplement comprendre qu'il ne s'agit plus, dès lors, de la même histoire; ensuite, je la lui raconte une nouvelle fois, mais augmentée de ses ajouts, et ainsi de suite, jusqu'à ce que personne ne puisse plus dire si c'est davantage son histoire ou la mienne. Par exemple, en ce qui concerne cette histoire, celle de Peter Pan, la trame narrative et la plupart des aspects moraux viennent de moi, mais pas tous, car ce petit garçon peut s'avérer être un farouche moraliste; mais les passages intéressants au sujet des us et coutumes des bébés dans leur premier âge sont pour la plupart des réminiscences de David, après qu'il a fait un violent effort de mémoire en pressant ses tempes entre ses mains."
Ça rejoint ce que je disais déjà dans mon précédent billet, Barrie a déclaré à plusieurs reprises que ce n'était pas vraiment lui qui avait écrit Peter Pan, mais les enfants Davies.
"Ainsi, Peter Pan s'enfuit par la fenêtre, qui était dépourvue de barreaux. Perché sur le rebord, il apercevait au lointain les arbres - sans doute ceux de Kensington; à l'instant où il les vit, il oublia tout à fait qu'il était désormais un petit garçon vêtu d'une chemise de nuit, et il s'envola au loin, par-dessus les maisons, en direction des Jardins."
On a ensuite toute l'histoire de la vie de Peter Pan dans les jardins de Kensington. Il vit là-bas parmi les fées.
On apprendra aussi comment les oiseaux se transforment en bébé. Les jeunes couples déposent sur la rivière du parc de Kensington, "la Serpentine" un petit bateau en papier à l’intérieur duquel il est inscrit le souhait d'avoir un enfant. Le bateau dérive jusqu'à l'île des oiseaux, où il est recueillit par ces derniers. L'un d'eux se transforme pour devenir l'enfant désiré. Peter Pan habitera sur l'île ( tiens, une île..) parmi les oiseaux.
J'ai voulu faire référence à toute cette genèse dans mon album Peter Pan. Dans la première illustration, j'ai glissé des petits détails qui évoquent cette histoire. J'ai choisi donc d'illustrer les jardins de Kensington (plutôt que de dessiner directement la chambre de Wendy et ses frères) pour rendre hommage à ce lieu de création. Là d'où tout est parti.
Pour représenter les jardins de Kensington, je me suis aidée d'un dessin de 1902. Je suppose que l'auteur a demandé à un ami dessinateur de le faire d'après sa description (je n'ai pas réussi à trouver plus d'info sur ce dessin).
J'ai donc dessiné le bassin rond, les enfants (et les adultes) qui y mouillent leur bateau.
La rivière "la Serpentine", les petits bateaux en papier qui abritent le souhait des futurs parents, les oiseaux qui recueillent le message sur "The birds' island". La petite fée qui se cache en premier plan... Tous les éléments qui seront sur l'île du Jamais sont déjà présents dans cette image, l'île, les oiseaux, le gros chien Terre-Neuve qui deviendra un tigre sauvage, les enfants... et même la petite maison fabriquée qui deviendra la maison construite autour de Wendy.
Dans l'histoire de Peter Pan sur l'île du Jamais, Wendy fait une mauvaise chute à cause de la fée Clochette qui, jalouse, voulait l'éliminer. Peter et les enfants perdus décident de construire une maison autour de Wendy, évanouie au sol, afin qu'elle passe la nuit au chaud (plutôt que de la déplacer chez eux car ils ne veulent pas offenser cette dame).
Ce principe de maison construite autour d'une jeune enfant évanouie est déjà présent dans Le petit Oiseau Blanc. Une petite fille s'est cachée dans les jardins de Kensington afin de voir ce qui s'y passe la nuit. Elle arrive à se dissimuler aux yeux des gardes qui ferment les grilles du parc le soir. Seule, elle prend froid et fini par s'assoupir dans la neige. Les fées, qui profitent de la nuit pour aller et venir dans le parc, découvrent l'enfant à moitié recouverte de neige. Après délibération, la solution pour qu'elle ne meure pas de froid est trouvée : "Construisons une maison autour d'elle !" C'est donc la maison construite par les fées autour de la petite Maimie que j'ai dessinée dans le parc, à l'image de celle de Wendy.
Pour finir, voici quelques autres extraits du Petit oiseau blanc, qui m'ont aidés pour dessiner la première illustration :
"Vous devez bien vous rendre compte qu'il vous sera difficile de suivre les aventures de Peter Pan si les Jardins de Kensington ne vous sont pas familiers, comme ils le sont à présent à David. [...]
Les jardins sont limités d'un côté par une rangée sans fin d'omnibus, [...] bien des portes s'ouvrent sur les Jardins, mais c'est par celle-ci que vous y pénétrez; mais, avant cela, vous discutez avec la dame aux ballons; elle est assise dehors. Elle se tient aussi près de l'intérieur qu'elle peut s'y risquer, parce que si elle lâchait un instant son emprise des grilles, les ballons l'emporteraient dans les airs. Elle s'accroupit, car les ballons ne cessent de tirer, et son visage rougit sous leur pression et l'effort fourni afin de les retenir. Un jour, une autre dame prit sa place, parce que l'ancienne avait lâché prise et s'était envolée. David éprouvait de la compassion pour l'ancienne; mais, puisqu'elle s'était envolée, il aurait tout aussi bien aimé être témoin de cette scène."
[...]
" Des hommes lancent des bateaux sur le Bassin Rond, des bateaux si grands qu'il les apportent dans des brouettes et quelquefois dans des landaus, si bien que les bébés doivent marcher. Les bébés des Jardins qui titubent sont ceux qui ont dû marcher trop tôt parce que leur père avait besoin du landau."
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Bonjour,
RépondreSupprimerEncore un grand merci pour votre jolie dédicace à notre petite Eléa hier ! Elle est fière de s'être fait croquer et a pris grand plaisir à découvrir la belle histoire de Rikimini.
Nous sommes ravis d'avoir découvert votre univers foisonnant et poétique qui nous séduit beaucoup et avons hâte de dénicher vos autres ouvrages.
Bonne continuation !
MB
Un grand merci à vous, ainsi qu'à Eléa.
SupprimerJ'étais ravie de rencontrer les petits lecteurs de Dijon et ses environs !
Bonjour!
RépondreSupprimerJe me suis permis d'utiliser quelques-unes de vos illustrations pour réaliser une chronique sur votre merveilleux albums : http://www.pilalire.com/2015/12/aussi-longtemps-que-les-enfants-seront.html
Si j'ai craqué pour le livre en librairie, j'en suis vraiment tombée amoureuse en lisant vos explications, découvrant vos step-by-step et me rendant compte de l'immense travail que vous avez fourni pour réaliser cet album. En tant que grande amoureuse de Peter Pan et de sa complexité, je tenais à vous remercier pour ce travail formidable!
Bonsoir,
SupprimerC'est moi qui vous remercie !
J'ai lu votre article, et il m'a fait très plaisir, c'est encourageant pour moi :-)
J'aime beaucoup votre article qui m'enrichit de connaissances pour compléter mon TPE sur la psychanalyse de Peter Pan et pour ma curiosité personnelle. Cependant, quand vous parlez de "la genèse de Peter Pan" je n'ai pas réellement saisi le sens de votre propos ... Pourriez-vous m'en dire davantage ?
RépondreSupprimerPuis, es-ce-que dans vos recherches avez-vous trouvé des informations sur le contexte historique du roman ?
Et une dernière question, avez-vous recueilli l'avis des enfants après la lecture de votre adaptation ? Ou saviez-vous par d'autres intermédiaires comment les enfants voient l'oeuvre de Peter Pan ?
Au passage, vos illustrations sont magnifiques ! Je me permet d'utiliser la toute première illustration de votre article pour illustrer mon TPE ou mon futur diaporama.
Bonne fin de journée,
Bonjour,
SupprimerMerci pour votre message, et désolée du temps de réponse....
Pas de soucis pour utiliser une ou des images pour illustrer votre TPE.
Je me suis intéressée à la genèse de Peter Pan ( = tous les éléments qui ont façonné l'histoire, qui ont aidé l'auteur à élaborer son œuvre) parce que je trouve toujours intéressant d'essayer de comprendre comment des idées aussi singulières peuvent germer dans l'esprit d'un auteur.
Je n'ai pas encore fait des rencontres auprès des jeunes enfants autour de cet album. J'en fait souvent, mais c'était à propos d'autres albums que j'ai illustré. J'ai par contre eu des retours de parents qui avaient acheté l'album, et qui m'ont confié que leurs enfants étaient fascinés par le mythe de Peter Pan, ce qui prouve que cette histoire n'a pas pris une ride...